Les repères donnés par Luc sont tous cohérents entre eux et compatibles avec les sources romaines. Le récit de Matthieu, qui est allégorique et légendaire, ne saurait les contredire ou les amoindrir.
Luc datait la naissance de Jésus du premier recensement qui eut lieu sous Quirinius, alors gouverneur de Syrie:
“Et il advint en ces jours là que sortit un décret de César Auguste pour que soit enregistré tout le monde habité. Cet enregistrement
s'avéra être le premier, Quirinius étant gouverneur de la Syrie. ” Lc 2.1-2
“En ces jours là” : L'expression concerne les faits rapportés dans les phrases qui la suivent et non dans celles du chapitre précédent. Il s'en suit que "ces jours là" ne se réfèrent pas au règne d'Hérode évoqué en Lc 1.5.
L' expression est si connotée bibliquement qu'elle ne saurait être anodine. L'adjectif “ces” avec le grec ἐκείναις met en relief ce qui est illustre. Son correspondant en hébreu se termine par un ה vocalique qui revêt un caractère emphatique; attesté 12 fois seulement dans la Bible, il a toujours été traduit dans la Septante par l'adjectif ἐκείναις. Or, en tant que telle, l'expression apparaît cinq fois dans les paroles divines rapportées par les Prophètes où elle annonce la réunification d'Israël et de Juda: "en ces jours-là la maison de Juda marchera avec la maison d'Israël, et ils viendront ensemble du pays d'Aquilon au pays que j'ai donné en héritage à vos pères (Jr 3.18 voir aussi Jr 50,4); elle prédit également le rassemblement des nations autour d'eux, “il arrivera en ces jours-là que dix hommes de toutes les langues des nations empoigneront et tiendront ferme le pan de la robe d'un Juif, en disant : Nous irons avec vous; car nous avons entendu que Dieu est avec vous” (Zach 8.23; voir aussi Jr 3.16-17; Joël 2.28-3.2); cette réunion des peuples à Sion participe des jours de caractère messianique.
Ainsi, pour souligner la naissance du Messie, c'est à ces jours prophétiques du rassemblement des nations qu'il a été fait allusion avec "ces jours là”. Marie et Joseph montèrent en Judée pour le dénombrement des citoyens. Ils venaient de Galilée, l'ancien royaume d'Israël, et se rendaient en terre de Juda, dans la tribu d'origine de Joseph. En outre, de toute la diaspora on montait à Jérusalem à l'occasion de l'année sabbatique. En effet la naissance de Jésus, en l'an 2 avant notre ère, était marquée par une année sabbatique. Aussi, ce rassemblement en Judée pouvait apparaître comme un accomplissement des prophéties. Et, à la différence du recensement de l'an 6AD qui déclencha la révolte de Juda le Galiléen, le contexte était pacifique, d'autant que, cette même année, le 5 Février de l'an 2 avant notre ère, Auguste recevait du Sénat le titre Pater Patriæ; il est probable qu'alors et pour la troisième fois, les portes du temple de Janus étaient fermées, signe que la Paix régnait sur l'empire.
Or, ces jours là inscrivaient une rupture avec ce qui avait précédé. Il n'est pas anodin, en effet, que la formulation de la phrase dans son ensemble soit calquée sur Exode 2.11: Et il advint en ces jours là que Moïse sortit vers ses frères. Moïse sortait de la maison de Pharaon dont il allait se faire exclure. Ces jours là marquaient un avant et un après. Un schéma similaire se lit dans cette autre phrase de Luc 6.12: Et il advint en ces jours là que Jésus sortit vers la montagne pour prier. “Sortant” de la Synagogue dont il se faisait exclure, il montait prier sur la montagne où il fit choix de douze apôtres représentant les douze tribus d'un nouvel Israël.
Dans l'Oncial D(05), à partir de la naissance de Jésus l'expression en ces jours là est toujours écrite avec ἐκείναις [cf. Lc 2.1; 4.2; 5.35; 6.12D(05); 9.36; 21.22-23; 23.7D(05)]. A travers elle, l'introduction du Messie dans le monde inscrivait une rupture dans le temps. “Ces jours là” se différenciaient “des jours d'Hérode”, par lesquels débutait le récit. Le hyatus entre les deux exclue de dater la naissance de Jésus du règne d'Hérode. Et en effet avec les repères du chapitre trois, elle est à replacer durant la 42eme année d'Auguste, l'an 752 de l'ère de Rome ou l'an 2 avant notre ère, une année sabbatique en Israël, soit deux ans après la mort du roi intervenue en Mars de l'an 4 avant notre ère .
Pour rattacher "ces jours là” au règne d'Hérode le Grand, il faudrait ignorer intentionnellement les emplois bibliques et laisser libre cours aux récits de Matthieu. Sur le caractère légendaire du massacre des innocents, de la fuite en Egypte et de la visite des Mages, on se reportera avec profit aux articles de Jacques Poucet: Question d'historicité et de composition et la Prescience des Mages.